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Délais de paiement interentreprises de droit commun en un coup d'oeil - Crédit photo : © Collette Avocat
Crédit photo : © Collette Avocat

Quels sont les délais de paiement dans une relation commerciale ? Quels risques les parties encourent en cas de dépassement ?

Auteur : Hugues Collette
Publié le : 20/01/2020 20 janvier janv. 01 2020


Toute entreprise est soumise à une double responsabilité dans le cadre de la réglementation sur les délais de paiement interentreprises : celle d’émettre une facture conforme à temps, en qualité de vendeur ou de prestataire et celle de payer une facture à temps en qualité d’acheteur ou de client.
 
 
Cette réglementation n’a cessé de se durcir pour protéger la trésorerie des entreprises à l’égard de pratiques visant à s’octroyer un crédit entreprise sans coût, en retardant indûment le paiement de factures.
 
 
Les entreprises ne sont pas nécessairement bien informées sur cette réglementation ni bien outillées en interne pour faire face à cette responsabilité légale dont le contrôle administratif s’est considérablement durci.
 
 
Cette problématique est d’autant plus importante qu’elle concerne directement l'état de leur trésorerie et donc leur compétitivité.
 
 

Enjeux de la réglementation

 
 
Les retards de paiement constituent l’un des problèmes majeurs de l’économie française.  Ils sont gravement préjudiciables pour la trésorerie, la compétitivité et voir même de la viabilité des entreprises, et plus particulièrement les PME et TPE.
 
 
Ainsi, 80% des entreprises françaises déclarent avoir été fortement impactées par les retards de paiement dans le développement de leurs activités. Elles indiquent en outre qu’elles s’attendent en 2020 à une détérioration des pratiques de leurs clients (Les Echos Forte augmentation des créances irrécouvrables).
 
 
La lutte contre les retards de paiement interentreprises mobilise le Gouvernement et l'administration. A cet égard, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (« DGCCRF ») et les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (« DIRECCTE ») sont les bras armés du ministère de l’Economie pour veiller au respect de la réglementation des délais de paiement dans les relations interentreprises.
 
 
La Commission d'examen des pratiques commerciales (« CEPC »), organe consultatif institué par le ministère de l’Economie, donne sur demande, un avis la portée pratique de cette réglementation.
 
 

Champ d’application de la réglementation

 
 
La réglementation sur les délais de paiement s’applique à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales, définies comme « toute transaction entre des entreprises (…) qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération » (Directive n°2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales). Est exclu du présent exposé le volet public de la réglementation.
 
 
Cela concerne donc toutes les relations commerciales interentreprises, même dans des relations intragroupes. La réglementation est en principe applicable à tout créancier ou débiteur établi en France (CEPC avis n°19-3).
 
 
En présence d’un créancier ou d’un débiteur étranger, la réglementation pourrait s’appliquer si la relation commerciale se déroule en France et, ce quel que soit la loi applicable choisie par les parties (CEPC avis n°19-03, 16-1 et 09-06). Les contrats de vente internationale de marchandises relevant de la Convention de Vienne n’y sont en revanche pas en principe soumis (CEPC avis n°16-12 et 19-2).
 
 

Obligation légale du vendeur / prestataire

 
 
L’article L. 441-9 I du code de commerce dispose que « tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle fait l'objet d'une facturation. Le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services au sens du 3 du I de l'article 289 du code général des impôts (…) ».
 
 
En droit fiscal, la réalisation de la livraison s'entend du « transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ; il est cependant admis (qu'une facture) ne soit établie qu’au moment de la remise de ce bien lorsque celle-ci intervient moins d’un mois après la date à laquelle l’acheteur peut disposer de celui-ci comme un propriétaire » (CEPC avis 17-05).
 
 
Au besoin, il convient de se référer au fait générateur de la créance, au sein des termes contractuels convenus entre les parties pour connaître la date exacte de « la réalisation de la livraison ou de la prestation de services » (article 289 du Code général des impôts).
 
 
Le non-respect de cette obligation d’émettre une facture conforme et en temps opportun est « passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. Le maximum de l'amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive » (article L. 441-9 II du code de commerce).
 
 
 

Obligation légale de l’acheteur / client

 
 
L’article L. 441-9 I du code de commerce dispose que « l'acheteur est tenu de (…) réclamer (…) » une facture conforme auprès du vendeur / prestataire.
 
 
Cette réclamation doit être formulée dans le délai de paiement imparti. La vérification et une éventuelle contestation de la facture doivent également être réalisées dans ce même délai. Une simple négligence de la part de l’acheteur / client peut donc être sanctionnée.
 
 
Le non-respect de cette obligation de réclamer une facture conforme et émise en temps opportun est « passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. Le maximum de l'amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive » (article L. 441-9 II du code de commerce).
 
 
En outre, la facture doit être payée dans le délai de paiement imparti par le client / acheteur.
 
 

Importance de la date d’émission de la facture dans le décompte des délais légaux

 
 
Les délais légaux de paiement interentreprises courent à compter de la date d’émission (édition) de la facture par le vendeur / prestataire.
 
 
Ce point de départ ne peut pas être abusivement retardé pour échapper aux sanctions afférentes au non-respect des délais légaux de paiement : « sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement mentionnés au présent article » (article L 441-16 6e alinéa du code de commerce).
 
 
La date d’émission de la facture ne peut donc être artificiellement différée par les parties (CEPC avis n°19-5). A cet égard, la date de réception de la facture ou la durée des procédures internes de vérification des factures ne sauraient servir à retarder le point de départ ou la date d'expiration du délai de paiement : « la durée de la procédure d'acceptation ou de vérification ne peut avoir pour effet ni d'augmenter la durée, ni de décaler le point de départ du délai maximal de paiement (…) à moins qu'il n'en soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas une clause ou pratique abusive, au sens de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 441-16 ou de l'article L. 442-1 » (article L. 441-10 dernier alinéa du code de commerce).
 
 

Durée légale des paiements interentreprises

 
 
Les délais de paiement qui courent en principe à compter de la date d’émission de la facture ne peuvent aller au-delà  :
 
 
  • En l’absence d’accord entre les parties, de 30 jours ;
 
 
  • En cas d’accord entre les parties, de 60 jours ;
 
 
  • A titre dérogatoire et sous réserve d’une stipulation expresse dans le contrat et d’un éventuel abus manifeste à l’égard du créancier, les parties peuvent prévoir un délai de 45 jours « fin de mois »
 
 
Pour cette dérogation, les parties doivent s’accorder sur le mode de computation, dans le cadre de l'alternative suivante :
 
 
  • date de facture à laquelle on ajoute le nombre de jours défini et échéance en fin de mois ;
 
 
  • date de la fin du mois civil au cours duquel la facture a été émise, à laquelle on ajoute le nombre de jours défini (CEPC avis n° 18-11).
 
 
  • En cas de facture périodique, 45 jours ;
 
 
Une facture est dite périodique lorsqu’elle est « établie de manière périodique pour plusieurs livraisons de biens ou prestations de services distinctes réalisées au profit d'un même acquéreur ou preneur pour lesquelles la taxe devient exigible au cours d'un même mois civil. Cette facture est établie au plus tard à la fin de ce même mois » (article 289 du Code général des impôts).
 
 
Pour apprécier s’il s’agit bien d’une facture périodique, « il convient (…) d’examiner si l'on est en présence d'une opération unique, ou au contraire, de plusieurs opérations dissociables qui revêtent chacune le caractère de prestations de services indépendantes » (CEPC avis n°18-02 bis).
 
 
A ces délais s’ajoutant des délais dérogatoires listés aux articles L. 411-11 à L. 411-13 du code de commerce.
 
 
Ces délais dérogatoires concernent certains secteurs nommément identifiés, le paiement des achats effectués en franchise de tva pour des biens destinés à faire l'objet d'une livraison en l'état hors de l'Union européenne et les livraisons de marchandises qui font l'objet d'une importation dans le territoire fiscal des départements de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane, de La Réunion et de Mayotte ainsi que des collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, des îles Wallis et Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
 
 

Portée de l’obligation de payer dans le délai légal

 
 
L’obligation de payer à temps constitue une obligation de résultat, sans dérogation légale. Elle est considérée comme d’ordre public (CEPC avis n°09-06).
 
 
Ainsi, le manquement du client /acheteur est caractérisé en cas de simple dépassement du délai légal, sans qu’il ait lieu de tenir compte d’une quelconque compensation entre les paiements dans les délais et ceux hors délais, de l’intention de son auteur ou de l’impact de la pratique dans les faits de l’espèce.
 
 
A seule été admise la possibilité pour le client / acheteur de suspendre cette obligation légale, en cas de contestation fondée et sérieuse de la créance : « une facture doit donc être réglée à l’échéance convenue sauf en présence d’une contestation fondée et sérieuse ; le fournisseur doit alors être en mesure, par l’acheteur, de contrôler la réalité du grief » (CEPC avis n° 09-11). En revanche, « la généralisation ou la multiplication de litiges ne peut servir de prétexte au non-respect des délais de paiement » (CEPC avis n°09-06).
 
 
Cette suspension court à compter de la survenance du litige jusqu’à sa résolution, dès lors que l’invocation d’un tel litige s’est faite dans le délai de paiement imparti.
 
 

Sur le mécanisme de validation de la méthode de computation

 
 
L’article L. 441-15 I du code de commerce dispose qu’il est possible pour certains professionnels de « demander à (la DGCCRF / DIRECCTE) de prendre formellement position sur la conformité (…) des modalités de computation des délais de paiement qu'il envisage de mettre en place » afin, le cas échéant de pouvoir opposer à l’administration une telle prise de position et se prémunir contre tout « changement d'appréciation de l'autorité administrative qui serait de nature à l'exposer à (une) sanction administrative (…) ».
 
 
L’opposabilité de la position prise antérieurement par l’administration est conditionnée au fait que :
 
 
1° La situation du professionnel est identique à celle présentée dans sa demande ;
 
 
2° le droit positif est le même qu’au jour de la demande de prise de position ;
 
 
3° L'autorité administrative n’a pas personnellement notifié audit professionnel un changement de sa doctrine intervenu entretemps (même article II°).
 
 

Sanctions administratives pécuniaires en cas de non-respect

 
 
Le nouvel article L. 441-16 du code de commerce dispose que le non-respect des délais légaux, le non-respect des modalités de computation des délais de paiement légaux et les pratiques visant à décaler abusivement le point de départ desdits délais sont passibles « d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale ».
 
 
En cas de réitération des pratiques dans un délai de deux ans, « le maximum de l'amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et quatre millions d'euros pour une personne morale » (même article).
 
 

Sanctions administratives non pécuniaires en cas de non respect

 
 
L’article L. 470-2 V du code de commerce dispose que la décision sanctionnant le non-respect de la réglementation des délais de paiement « est publiée sur le site internet de (la DGCCRF) et, aux frais de la personne sanctionnée, sur un support habilité à recevoir des annonces légales que cette dernière aura choisi dans le département où elle est domiciliée. La décision peut en outre être publiée, à ses frais, sur d'autres supports. L'autorité administrative doit préalablement avoir informé la personne sanctionnée, lors de la procédure contradictoire (…), de la nature et des modalités de publicité de sa décision ».
 
 
A défaut de respecter cette exigence, les DIRECCTE pourront mettre en demeure l’entreprise sanctionnée de s’exécuter sous une astreinte de 150 euros par jour à compter de la notification de la mise en demeure jusqu’à la publication effective (même article).

 

Remarques conclusives

 
 
Le durcissement de la réglementation et la politique de contrôle renforcée de la DGCCRF et des DIRECCTE appellent une vigilance accrue de toute entreprise, tant en qualité d’émettrice que de destinataire de factures commerciales, sur les dates de règlement des factures, par rapport à celles de leur émission.
 

Cela nécessite de mettre en place ou d’améliorer les processus internes d’édition et de règlement des factures, mais également de bien rédiger les clauses afférentes aux conditions de règlement au sein des conditions générales.
 
 
L’intérêt des entreprises est considérable puisqu’outre le fait que ces moyens pourraient la mettre à l’abri d’une importante sanction administrative, cela lui permettrait de maîtriser son besoin en fond de roulement et de réduire le taux de créances irrécouvrables. Sa situation financière pourrait donc se trouver notablement améliorée.

 

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